Racines - Une Médiathèque et un lieu de convergence pour Mostar​​​​​​​
Lors d’un séjour, j’ai pu constaté que Mostar est une ville coupée en deux pour des raisons politiques, avec deux mairies, deux centres postaux, deux commissariats, etc., et du coup composé de communautés qui cohabitent difficilement. C’est ici qu’est malheureusement apparu le terme d’urbicide, c’est-à-dire que l’on a cherché à détruire le « vivre ensemble ». Le pont de Mostar en est le triste exemple. Il a a été reconstruit à l’identique, mais ce nouveau vieux pont a perdu son rôle de lien entre les communautés. ​​​​​​​​​​​​​​
Malgré les tensions issues des années noires, la population se remet progressivement du traumatisme de la guerre. La question du rapport à la ruine est primordiale pour penser le projet. La ruine, c’est à la fois ce qui a chuté et ce qui demeure, ce qui ancre le passé dans notre présent. Elle implique le sentiment du passage à la fois spatial et temporel. Sensible à la pensée de John Ruskin, j’intègre le processus d’altération comme une partie intégrante du projet et je ne cherche pas à installer un dialogue frontal entre nouveau et ancien, mais plutôt une continuité entre construction, détérioration et restauration.
Depuis ce constat, le rapprochement de la jeunesse musulmane, serbe et croate est le moteur du projet et permet de réinvestir un bâtiment « sous-utilisé» sur l’ancienne ligne de front. Ce lieu porte en lui une signification symbolique, dû à son présent, son passé et étant symboliquement une victime de la territorialisation du bulevar. 
Aujourd’hui, le Gymnasium (terme local pour désigner le lycée) est officiellement le seul lieu où les trois communautés se côtoient, bien que les programmes, les élèves, les professeurs et même le directeur soient distincts. Pour l’anecdote, les élèves ont la possibilité de choisir entre un enseignement de type croate, serbe ou bosniaque, et ce quel que soit sa confession. Le premier signe d’une tolérance. Ce lieu est donc le centre névralgique d’une vie commune. 
Le lycée à présent surpasse alors son statut de lieu d’enseignement en y ajoutant des usages nouveaux. En quelque sorte devenir un campus. Et réunir ces jeunes, au sens propre, pourrait avoir un impact positif sur l’ensemble de la zone. Un édifice suffisamment proche du lycée, anciennement annexé à celui-ci qui plus est, sera le lieu de cette expérimentation. Ce satellite architectural jouera un rôle non plus de division mais d’union, de convergence.s. ​​​​​​​
Voici l’ancienne bibliothèque universitaire, construite en 1898 par Milos Komadina. Dans le style néo-classique Austra-Hongrois, elle fut initialement la maison du maire, puis un centre culturel, ensuite un centre pour la jeunesse et enfin la bibliothèque du Gymnasium. ​​​​​​​
L’édifice a aujourd’hui perdu son toit et ses sols, mais les façades et les murs intérieurs sont toujours présents. C’est un lieu qui a affronté le temps, un édifice récupéré par la nature, perdu par l’histoire. Il n’est pas question de rénover ce vestige comme il a été, mais de le laisser à son site tel qu’il est, comme objet de pensée, et ainsi le mettre en scène dans son environnement et donner à vivre à ses occupants cette expérience liée à l’imaginaire et le ressenti collectif. Par le biais des traces de la guerre, de leur préservation comme leur suppression, j’instaure un dialogue entre conservation et oubli. ​​​​​​​
Cette «restauration archéologique» suit les instructions de la Charte de Venise, en respectant la construction historique dans ses différents états de préservations.

Suite à une demande formulée par la ville, l’intention du projet est de résoudre un manque, un usage qui a disparu de Mostar : une médiathèque dotée des nouvelles technologies afin de se tourner vers son histoire mais aussi vers l’Europe. Celle-ci a été d’une grande aide lors de la reconstruction, et pour emboîter le pas sur la Croatie, la Bosnie- Herzégovine souhaite également faire partie de l’Union Européenne. 
Elle renferme une bibliothèque, une salle de lecture, une zone dédiée à la presse, une autre aux multimédia, un amphithéâtre, une terrasse dédiée à la consommation et à la détente, ainsi que le dernier étage de la ruine entièrement dédié au street-art, moyen d’expression artistique particulièrement développé à Mostar. 
Le projet met en place un jeu de poutraisons métalliques qui traverse et soutient le bâti ancien et permet de poser les planchers du nouveau. Le maillage, son prolongement à travers l’ancien, vient structurer un nouvel édifice et créer son toit.  Ce tricotage architectural est le lien structurant des sols, des passerelles, et du mobilier. 
On tire parti des vides verticaux et horizontaux, et morcelle le nouveau sol afin de dévoiler l’ancien. On agit donc à la manière d’un archéologue et montre au spectateur ce qu’il y a voir, cela par le biais de sol en verre alternant avec le béton afin de mettre en évidence des zones à l’intérêt particulier. 
Les différents espaces se déploient par le biais d’un délié signifié au sol, allant de la bibliothèque, à la rampe d’accès à la salle de lecture, en passant par l’amphithéâtre, et finissant dans l’espace street-art à ciel ouvert. La mise en valeur de cet espace culturel multi ethnique par le ruban, qui relie les communautés à travers les espaces, matérialise un parcours d’exploration de l’architecture. 
L’arbre mis à terre par grand vent repousse de manière différente sur sa souche taillée.

Le projet est orienté vers le passé mais aussi vers le futur, cela par le biais d’une approche sensible du vestige, presque à la main. On pose, on vient toucher, on effleure, et on agresse pas, via un patchwork architectural, un jeu d’imbrication dans lequel les siècles et les matériaux se confrontent et se complètent.
Le réseau métallique pénètre le bâti, le restructure, l’innerve, et y réinsuffle la vie sans le dénaturer. Le ruban guide l’usager du passé vers le présent et suscite l’envie de contempler la ruine et de voir ce qu’elle veut bien nous révéler. 
Dans ce lieu, le passé alimente le futur, il raconte son histoire et crée une promesse avec de nouveaux usages. En réponse à ce passé sanglant, le savoir devient une arme afin de comprendre et connaitre l’autre et ainsi amorcer une cohabitation. 
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